Instantanés ladakhis – III – La route de Srinagar

Sur la route vers Srinagar, Mulbeck est le dernier village majoritairement bouddhiste. Il est célèbre pour son Maitreya (Bouddha dit « du futur ») qui daterait du premier siècle avant notre ère, gravé dans la pierre, veillant sur un minuscule monastère de deux ou trois moines. Après Mulbeck, il est vrai qu’il reste encore Shergol et cet autre monastère, fascinant, agrippé au rocher comme un nid de guêpes et qu’on ne peut sans doute atteindre que par un rude sentier très raide. On le voit depuis notre campement, mais hélas manque le temps d’aller le visiter. Après, c’est le Bas-Ladakh, ou « Purig », capitale Kargil, habitée à plus de 80% par des musulmans chiites. Kargil laisse en principe une impression pénible à nombre de visiteurs à cause probablement de la rigueur des mœurs pratiquées, toute en contraste avec l’effervescence  colorée des villages bouddhistes. Mais par ce temps superbe, la petite ville prendrait presque des allures de cité de villégiature estivale. Pourtant, l’agglomération a souffert : la bataille de Kargil, livrée par l’armée indienne contre le Pakistan en 1999, a en partie détruit les maisons, qu’il a fallu reconstruire, désormais sur un modèle uniforme, toutes de pierres grises. Cette région du Ladakh est boisée. C’est bien la seule. La ligne de cessez-le-feu passe sur la crête rocheuse qui domine la ville : c’est de là qu’en 1998, l’armée pakistanaise bombardait la gare routière. Mais si on oublie cela, on remarque surtout les sommets du Nun et du Kun qui, de loin, inscrivent la petite ville parmi les villes de haute montagne. Entre les arbres fruitiers, la route sinue jusqu’aux villages de la vallée de la Suru, direction Rangdum. Elle reste goudronnée encore un long moment. Au moins jusqu’à Pannikar.

Kargil

Au premier village traversé, Sanku, nous nous heurtons à une lente procession dans la rue principale. De jeunes hommes, torse nu, se frappent violemment avec leurs poings. Notre chauffeur nous dit que c’est « Mouharram », pourtant cela ne concorde pas tellement avec la période où nous sommes. Pas plutôt la commémoration du martyr d’Ali ? Nous ne nous sentons pas très à l’aise face à ces démonstrations, préférant nous effacer prudemment plutôt que nous exposer (voire prendre des photos…). Repartis, la sortie du village nous réserve une surprise : non, ce n’est pas un champ de fleurs cette étendue colorée, majoritairement rose, qui ondoie à l’ombre des grands arbres, mais toutes les femmes du village rassemblées, avec leurs enfants, dans l’attente de la fin des cérémonies.

Tous les villages à traverser vont en fait nous réserver le même sort. Jusqu’au blocage pur et simple à un poste de contrôle du côté de Pannikar. Là, les fonctionnaires sont absents parce que participants à la fête chiite et la route est carrément close. Les files de voitures, cars et camions s’allongent des deux côtés. Un car de moines de Rangdum se rendant à Leh se trouve parmi eux. Lamas de tous âges s’égaillent dans la nature, qui vautrés sur l’herbe, qui à conter fleurette aux aimables touristes. Des fonctionnaires cachemiri font semblant d’ignorer la raison de notre blocage et nous informent doctement qu’ils ont pris quelques jours de vacances afin de visiter cette région qu’ils n’ont jamais vue (alors qu’ils vivent à Srinagar). Les paysans et paysannes bouddhistes, de type tibétain, sont traités, de manière hautaine, de « gipsies » par les riches cachemiri qui s’éprouvent sûrement d’une essence supérieure. La route se libère d’un seul coup. Comme par enchantement.

Et on longe à ce moment-là un paysage de montagne parmi les plus beaux du monde. Jusqu’à Rangdum, où nous pénétrons à nouveau dans une zone majoritairement bouddhiste. Le monastère en son nid d’aigle, seul, regarde vers le lointain, par-delà la vaste plaine garnie d’edelweiss.


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